Le Mystère de Gisors
Dominant la vallée de l’Epte, en lisière du Vexin normand, le château de Gisors se dresse tel un gardien d’un autre âge. Ses tours rondes, sa motte castrale, ses pierres rongées par le temps en font le décor idéal d’une légende.

Mais au-delà des apparences médiévales, Gisors cache un secret plus troublant : celui du trésor des Templiers, dont la rumeur, née au milieu du XXᵉ siècle, allait enflammer les imaginations du monde entier.
Cette affaire, que l’on nomme désormais le mystère de Gisors, trouve son origine dans le témoignage singulier d’un homme ordinaire : Roger Lhomoy.

Roger Lhomoy, le gardien du secret
Nous sommes dans les années 1940.
Roger Lhomoy, ancien soldat et ouvrier, est employé comme gardien du château de Gisors, propriété de la commune.
Taciturne, discret, il connaît chaque pierre, chaque souterrain, chaque racine qui s’enfonce sous la motte féodale. Pendant des années, il arpente les galeries humides, convaincu qu’un secret s’y cache.
Selon ses dires, en 1946, il aurait entrepris — seul, de sa propre initiative — des fouilles clandestines dans le sous-sol du château. À force de persévérance, il prétend avoir dégagé une galerie maçonnée d’une trentaine de mètres, menant à une chapelle souterraine où reposaient, selon sa description, vingt-trois sarcophages de pierre et une trentaine de coffres métalliques disposés en colonnes.
Une découverte prodigieuse, à laquelle il ne restait plus qu’à donner un nom : le trésor des Templiers.

Lorsque Lhomoy rapporte sa découverte au maire de Gisors, M. Philippon, celui-ci fait dresser un procès-verbal et transmet l’information au préfet de l’Eure.
Mais rapidement, la hiérarchie municipale se montre sceptique. Lhomoy est relevé de ses fonctions, accusé d’affabulation, et renvoyé. Sa découverte tombe dans l’oubli officiel — mais non dans celui de l’histoire.
Une rencontre déterminante
Quelques années plus tard, dans les années 1950, Gérard de Sède, journaliste, écrivain et passionné d’histoire secrète, entend parler de cet étrange gardien qui prétendait avoir vu un trésor templier sous Gisors.

La rencontre entre les deux hommes — qu’il relate plus tard dans Les Templiers sont parmi nous, ou L’Énigme de Gisors (1962) — marque le début d’une légende moderne.
On imagine aisément la scène :
une soirée d’hiver, dans la campagne française, le feu crépitant dans la cheminée, et Lhomoy, silencieux, soudain parlant d’une voix grave :
« J’ai découvert le trésor des Templiers. »
Gérard et Sophie de Sède se regardent, interloqués. Le journaliste, curieux de nature, comprend qu’il ne faut pas brusquer cet homme au visage taiseux.
Alors il écoute, patiemment, recueillant chaque mot comme on ramasse les morceaux d’un parchemin ancien.
Lhomoy raconte sa découverte, ses fouilles, la galerie, la chapelle, les sarcophages, les coffres d’or. Et lorsque vient le moment des preuves, il se tait : tout aurait été muré, refermé, effacé.
Des fouilles officielles… et un silence pesant
En 1962, Gérard de Sède publie Les Templiers sont parmi nous, un livre qui mêle les propos de Lhomoy à un faisceau d’hypothèses historiques et ésotériques.

L’ouvrage rencontre un écho considérable. Gisors devient un lieu de pèlerinage pour chercheurs de trésors et amateurs de mystères.
Mais le vacarme médiatique alerte aussi les autorités.
Sous la pression de l’opinion, le ministre de la Culture André Malraux autorise des fouilles officielles en 1962.

Des militaires du génie sont dépêchés sur place en 1964, du mois de février au mois de mars et sur ordre de Pierre Mesmer, ministre des armées de Charles de Gaule ; ils creusent, sondent, explorent les sous-sols du donjon et de la motte.
Le résultat, selon les rapports publiés, est négatif : aucune salle souterraine, aucun coffre, aucune trace du trésor.
Les galeries décrites par Lhomoy ne sont pas retrouvées.
Mais l’affaire prend une tournure troublante : certains témoins assurent que les fouilles ont été interrompues prématurément, par crainte d’un effondrement du site… ou, selon d’autres, par volonté politique de taire une découverte trop sensible.
Entre vérité et légende
Dès lors, Gisors bascule dans le domaine du mythe.
Les sceptiques parlent d’une invention de Lhomoy, nourrie par la solitude et la misère.
Les passionnés, eux, voient dans le déni officiel la preuve qu’un secret inavouable a bien été découvert.
De Sède lui-même, en collaboration avec un certain Pierre Plantard, relie alors le trésor de Gisors au mystérieux Prieuré de Sion, qu’il présente comme une société secrète héritière de l’ordre du Temple.
L’histoire prend une dimension ésotérique et politique : Gisors ne serait plus seulement un site archéologique, mais un maillon dans la chaîne du savoir templier, un refuge de reliques ou d’archives cachées depuis la chute de l’ordre en 1312.

Dans cette atmosphère mêlant révélations, manipulations et fantasmes, il devient presque impossible de démêler le vrai du faux.
Roger Lhomoy meurt dans l’indifférence, sans jamais renier sa version des faits.
Mais son nom reste associé, à jamais, à l’un des plus grands mystères de l’histoire médiévale moderne.
Le trésor de Gisors : hypothèses et symboles
Que contenait donc ce « trésor » ?
Selon les versions, il s’agirait :
- d’or et de reliques appartenant aux Templiers ;
- des archives de l’ordre du Temple, emportées depuis Paris avant l’arrestation de 1307 ;
- ou même du Trésor du Temple de Jérusalem, apporté par les croisés.
D’autres hypothèses relient Gisors à Rennes-le-Château, au Saint Graal, voire à des secrets de lignées royales.
Les sarcophages évoqués par Lhomoy alimentent l’idée d’une nécropole templière cachée, gardienne d’une mémoire interdite.
Les chercheurs contemporains s’accordent toutefois sur un point : sous Gisors existent bel et bien des structures souterraines, témoins d’anciennes phases de construction, mais aucune preuve tangible n’atteste de l’existence d’une salle au trésor.
Pourtant, le mystère demeure. Et dans les pierres du donjon, dans la brume du matin, on croirait encore entendre la voix de Lhomoy murmurer :
« Je sais ce que j’ai vu. »
Une légende vivante
Aujourd’hui encore, Gisors attire historiens, curieux, mystiques et amateurs de secrets d’État.
Le château, restauré et ouvert au public, conserve son aura : ses souterrains, partiellement interdits d’accès, excitent toujours l’imagination.
Le visiteur qui s’y promène ressent cette étrange vibration entre l’histoire officielle et la mémoire cachée.
L’affaire de Gisors, au fond, n’est pas seulement celle d’un trésor perdu.
C’est une parabole moderne sur la frontière fragile entre foi et doute, vérité et mensonge, lumière et ténèbres.
Elle illustre la puissance des symboles, capables de transformer une galerie vide en sanctuaire de mystères.
Et peut-être est-ce là, finalement, le véritable trésor : celui des questions que nous continuons à poser.
Pour aller plus loin
Des Templiers au Prieuré de Sion

