Ordre du Temple Solaire

Ordre du Temple Solaire

Il est des histoires qui paraissent sortir tout droit d’un roman noir ou d’un manuscrit apocryphe de la folie humaine. Celle de l’Ordre du Temple Solaire (OTS) appartient à cette catégorie. Fondé en 1984 à Saconnex-d’Arve, en Suisse, par Luc Jouret et Joseph Di Mambro, ce mouvement se voulait l’héritier spirituel des Templiers, des Rose-Croix et de la tradition ésotérique occidentale. Il ne laissera pourtant dans l’histoire qu’un sillage funèbre : soixante-quatorze morts entre 1994 et 1997, sur trois continents — Suisse, France, Canada —, dans ce qui reste l’un des épisodes les plus sombres du néo-templarisme moderne.
Derrière l’apparat chevaleresque, les rituels lumineux et les promesses d’élévation spirituelle, se cachait une dérive sectaire absolue, où mysticisme et manipulation s’emmêlèrent dans une tragédie apocalyptique.


Aux origines d’un faux Temple

L’histoire de l’OTS trouve sa source dans la personnalité trouble de Joseph Di Mambro. Né en 1924, ce Français d’origine italienne s’initie, dans les années 1950, au spiritisme et fréquente des milieux parallèles proches du Service d’Action Civique (SAC), réseau politico-paramilitaire fondé par Charles Pasqua.
Son goût pour l’occultisme s’affermit dans les années 1960, lorsqu’il rejoint l’A.M.O.R.C. (Antiquus Mysticusque Ordo Rosae Crucis), où il devient responsable d’une loge à Nîmes. De cette expérience rosicrucienne, il retiendra la puissance du rituel, la fascination du secret, et surtout le prestige que confère la hiérarchie initiatique.

Vers la fin des années 1970, Di Mambro crée le Centre de Préparation à l’Âge Nouveau (CPAN) à Collonges-sous-Salève, puis, en 1978, la Fondation Golden Way, installée à Saconnex-d’Arve, près de Genève. Cette fondation se veut d’abord humaniste et écologique — un lieu de réflexion sur l’avenir de l’humanité, où se côtoient scientifiques, artistes et mystiques. Mais rapidement, sous la houlette de Di Mambro, le discours se teinte d’occultisme : un « Sanctuaire » est aménagé pour des cérémonies en robe blanche, mêlant symboles rosicruciens et croix templières.

C’est dans cette atmosphère à mi-chemin entre la méditation et la liturgie initiatique qu’apparaît un second personnage clé : Luc Jouret, médecin belge, homéopathe et conférencier charismatique. Passionné par les médecines douces et la philosophie ésotérique, Jouret séduit par son verbe et son magnétisme. Di Mambro, qui cherche un visage public à son œuvre, voit en lui un instrument idéal.


De la Golden Way à l’Ordre du Temple Solaire

En 1984, la Fondation Golden Way fusionne avec un autre groupement, l’Ordre International Chevaleresque de Tradition Solaire, pour donner naissance à l’Ordre du Temple Solaire (OTS).
Sous couvert de perpétuer la « conscience une » et de rassembler une élite spirituelle, l’ordre se présente comme le dépositaire d’une tradition perdue, héritée des Templiers, des Gnostiques et des Frères de la Lumière. Les membres, souvent cultivés et aisés, se voient investis d’une mission : préparer la Terre à un « grand transit » vers un plan supérieur d’existence.

Le langage pseudo-mystique se mêle alors à des symboles maçonniques et templiers : croix pattées, colonnes, épées et serments. Les rituels, empreints de solennité, alternent prières, projections lumineuses et « manifestations » surnaturelles soigneusement orchestrées par Di Mambro, qui utilise des effets spéciaux pour convaincre les initiés de la réalité des « Maîtres de Sirius » ou de la présence d’entités invisibles.

Di Mambro se fait appeler « le Maître », affirmant être un walk-in, un esprit supérieur ayant pris possession d’un corps terrestre. Il s’entoure d’une garde rapprochée dévouée, au sein de laquelle se trouve Dominique Bellaton, qu’il présente comme la mère porteuse de « l’enfant cosmique », une réincarnation du Christ. En réalité, elle est sa maîtresse, et l’enfant — prénommée Emmanuelle —, sa fille biologique.


Expansion et premières fissures

Au milieu des années 1980, l’OTS s’étend : des centres sont ouverts en Suisse, France, Belgique et Canada. À Sainte-Anne-de-la-Pérade, au Québec, un domaine baptisé Sacré-Cœur devient un centre de vie et de retraite spirituelle, présenté comme un refuge en cas d’apocalypse nucléaire.
L’ordre dispose alors de plusieurs maisons, de comptes occultes, et de sociétés-écrans pour financer ses activités. Di Mambro se comporte en seigneur du Temple, multipliant les dépenses somptuaires tandis que les adeptes vendent leurs biens au profit de la « mission solaire ».

Mais des voix s’élèvent : Antonio Dutoit, membre lucide et courageux, dénonce dès 1986 la mégalomanie, les supercheries et les escroqueries financières de Di Mambro. Le fils de ce dernier, Élie, confirme les manipulations de son père. Peu à peu, le vernis se fissure, les départs se multiplient, et la fondation se replie autour d’un noyau fanatisé.

Les membres restants vivent dans un climat d’obéissance et de peur, persuadés que le monde extérieur est corrompu et promis à la destruction. Di Mambro se présente désormais comme le seul dépositaire du plan divin.


La folie de la fin : le “transit vers Sirius”

En 1994, acculé par la défiance croissante, Di Mambro change radicalement de discours : la fin du monde approche, dit-il, et les élus de l’Ordre doivent « transiter » vers l’étoile Sirius, berceau spirituel de l’humanité.
L’idée du suicide collectif prend alors forme sous le nom de transit initiatique. Les membres sont convaincus que la mort physique n’est qu’une étape vers la réintégration dans un plan supérieur. Ceux qui doutent deviennent des traîtres — condamnés, au même titre que les “forces des ténèbres”.

Le 30 septembre 1994, au Québec, la tragédie s’amorce. Sous prétexte de rituel, Antonio Dutoit, sa compagne Suzanne Robinson et leur bébé de deux mois, Christopher-Emmanuel, sont assassinés dans le chalet de Di Mambro. L’enfant est déclaré “Antéchrist” et poignardé rituellement. Le chalet est incendié.

Quelques jours plus tard, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1994, deux incendies simultanés éclatent en Suisse, à Cheiry et Salvan : quarante-huit corps, vêtus de robes rituelles blanches et dorées, sont retrouvés, la plupart exécutés d’une balle dans la tête avant que le feu ne soit déclenché par un dispositif automatique. Le monde découvre, horrifié, l’existence de cette secte apocalyptique. Mais la spirale infernale ne s’arrête pas là.
Le 16 décembre 1995, seize nouveaux adeptes — dont trois enfants — sont retrouvés morts, calcinés dans le Vercors, en France.
Puis, en 1997, cinq autres décès surviennent au Québec, selon le même scénario : sédation, exécution, immolation.


Les ombres du Temple

Les enquêtes révèlent un mélange délirant de mysticisme, escroquerie et paranoïa. Di Mambro, obsédé par la trahison et la pureté spirituelle, avait planifié sa propre disparition dans une mise en scène quasi liturgique. Luc Jouret, lui, s’était laissé engloutir par la folie du système qu’il avait contribué à créer.
L’OTS, loin d’être une fraternité spirituelle, n’était qu’un miroir déformant du rêve templier : celui d’un ordre pur et éclairé, perverti par la démesure humaine.


Épilogue : du mythe à la cendre

L’affaire de l’Ordre du Temple Solaire secoua profondément les consciences en Europe et marqua un tournant dans la perception des sectes à dérive apocalyptique. En France, elle mena directement à la création de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) et à un durcissement du contrôle des mouvements spirituels.

Mais au-delà du fait divers, l’OTS demeure le symbole d’un détournement tragique du mythe templier, ce rêve éternel d’un ordre de chevaliers gardiens de la lumière. Un rêve transformé en cauchemar, où la quête du divin s’abîme dans la folie des hommes.

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