Gnosticisme Chrétien en Gaule
Aux origines d’une pensée de la lumière
Le Gnosticisme n’est pas une simple hérésie, ni une religion au sens institutionnel du terme ; c’est un mouvement d’esprit, une voie intérieure, une quête.
Né dans le creuset bouillonnant du Proche-Orient et du bassin méditerranéen, aux Ier et IIᵉ siècles de notre ère, il se définit d’abord comme une philosophie de la Connaissance — gnosis — opposée à la simple croyance dogmatique.
Pour le Gnostique, le salut ne s’obtient pas par la foi mais par la révélation intime, cette prise de conscience de la lumière divine endormie dans l’homme.
Les premiers maîtres de la Connaissance
Le nom de Simon le Magicien, ce juif du Ier siècle mentionné dans les Actes des Apôtres, a longtemps été associé aux origines du mouvement. Mais les historiens contemporains nuancent cette paternité spirituelle.
D’autres figures, plus structurées intellectuellement, vont marquer le Gnosticisme naissant : Basilide, actif à Alexandrie entre 125 et 155, et surtout Valentin, dont l’enseignement à Rome vers 140 fera de lui le plus grand théologien de cette pensée lumineuse.
Leur enseignement propose un cosmos à double face, une lutte constante entre la lumière et les ténèbres, l’esprit et la matière.

Christianisme et Gnosticisme : deux rameaux issus d’un même tronc
La naissance du Gnosticisme est contemporaine de celle du Christianisme.
Tandis que Jésus prêche entre les années 30 et 33, les premiers courants gnostiques se développent dans les mêmes milieux judéo-hellénistiques.
Dès lors, une question fascinante s’impose :
le christianisme primitif était-il une forme de Gnosticisme ?
L’Évangile selon Jean, l’un des quatre textes retenus par l’Église de Rome, est fortement empreint d’un symbolisme gnostique : la lumière, la connaissance, la dualité du monde et l’idée du Verbe comme principe créateur.
Certains exégètes ont même osé demander : Jésus lui-même n’était-il pas porteur d’un message gnostique ?
Est-ce cette vision intérieure du divin qui aurait conduit Paul de Tarse à se séparer des apôtres d’origine, posant ainsi les bases du catholicisme institutionnel ?

L’affrontement avec Rome : la victoire du dogme
L’Église de Rome, cherchant à imposer son autorité politique et spirituelle sur l’Empire, ne pouvait tolérer une doctrine plaçant la révélation individuelle au-dessus du magistère ecclésiastique.
Elle enverra un homme de devoir et de foi : Irénée de Lyon (140-200).

Son œuvre, Contre les hérésies, demeure l’acte d’accusation le plus implacable jamais dressé contre le Gnosticisme.
Pour Irénée, le monde n’est pas le fruit d’un Démiurge imparfait : Dieu est unique, et tout ce qu’il crée est bon, même dans ses jugements les plus terribles.
Sous son impulsion, les écrits gnostiques sont pourchassés, détruits, effacés de la mémoire collective — du moins, jusqu’à leur miraculeuse résurgence.
Le Démiurge et la Chute : le mythe fondateur
Selon la vision gnostique, la création procède de deux forces : celle du Bien, principe de lumière, et celle du Mal, le Démiurge — identifié à Yahvé, le Dieu vengeur de la Bible.
Le Bien crée les âmes et l’esprit ; le Mal forge la matière et les corps.
L’homme, être de chair et d’ombre, est ainsi une prison de lumière, un esprit céleste captif du monde matériel.
La Gnose n’est autre que le chemin de retour vers la source divine : une rédemption par la Connaissance.
De Nicée à l’hérésie d’Arius : la flamme persiste
Trois siècles plus tard, lors du Concile de Nicée (325), la querelle renaît sous une autre forme.
L’évêque Arius s’oppose à la définition trinitaire : pour lui, le Christ est fils de Dieu, mais non Dieu lui-même.

Cette vision, héritière d’une sensibilité gnostique, voit en Jésus un émissaire du Bien venu dans le monde du Mal pour libérer les âmes captives.
La doctrine arienne se répand dans les royaumes germaniques, notamment chez les Wisigoths, qui domineront le sud de la Gaule et l’Espagne jusqu’au VIᵉ siècle.
Ainsi, le ferment gnostique s’enracine en Occitanie, terre de tolérance et de mystères.

Le souffle gnostique en terre d’Occitanie
Après la chute du royaume wisigoth, l’Église catholique s’impose dans le Midi, mais sans jamais étouffer complètement l’esprit de liberté religieuse.
Sous la surface du dogme, les anciennes croyances subsistent, discrètes, souterraines.
Vers l’an mil, cet héritage refait surface : le Catharisme.
Les Cathares, ces bons hommes pourchassés par l’Inquisition, professent un christianisme gnostique.
Pour eux, Jésus est l’envoyé du Dieu du Bien, venu libérer les âmes prisonnières de la matière, œuvre du Dieu du Mal.
Leur foi est pure, exigeante, sans temple ni ornement : la seule église est intérieure.

Le livre sacré et le mystère de Montségur
Les Parfaits Cathares se réunissaient autour d’un livre sacré, souvent identifié à l’Évangile selon Jean.
Mais pourquoi, lors du siège de Montségur en 1244, un livre aurait-il été sauvé au prix de tant de vies ?
S’il s’agissait du texte canonique, si répandu à l’époque, pourquoi tant de dévotion à son égard ?
De nombreux chercheurs ont avancé l’hypothèse qu’il s’agissait d’un évangile apocryphe, peut-être apparenté aux manuscrits de Nag Hammadi, découverts en 1945 en Égypte, et contenant justement des textes gnostiques oubliés.

Des traces dans la pierre et dans la mémoire
Comment ces écrits auraient-ils pu parvenir jusqu’aux forteresses du Languedoc ?
Malgré les persécutions d’Irénée et de ses successeurs, il est plausible que des communautés gnostiques aient survécu dans des régions reculées, protégées par les montagnes et le secret.
L’antique Narbonne (Narbo Martius) abritait jadis la plus grande communauté juive de Gaule.
Or, c’est dans le judaïsme hellénisé de Palestine que sont nés à la fois le Christianisme et le Gnosticisme : deux rameaux d’un même arbre de feu et de lumière.
Peut-être certains de ces initiés, fuyant les persécutions, ont-ils trouvé refuge en ces terres d’Occitanie où la tolérance et l’esprit frondeur ont toujours survécu.

L’écho des siècles : la découverte de Sonnac-sur-l’Hers
Le mystère s’épaissit encore lorsqu’en 2003, près de Sonnac-sur-l’Hers, dans l’Aude, une découverte inattendue relance le débat…
Vestiges, fragments, symboles : autant de témoins muets d’une gnose souterraine, toujours présente sous la pierre et le silence.
Le souffle des anciens gnostiques semble, décidément, ne jamais s’être totalement éteint.

Pierre de Roubichoux
Inscriptions antiques en langue sémite
