Le mystérieux Papus
Il s’appelait Gérard Anaclet Vincent Encausse, mais le monde de l’occultisme le connaîtra sous un autre nom : Papus.
Un pseudonyme choisi en référence à un ancien grimoire gnostique, le Nuctemeron d’Apollonius de Tyane, où Papus est l’un des génies de la médecine et de la connaissance cachée.

Il naît le 13 juillet 1865, à La Corogne, en Espagne, d’un père français et d’une mère espagnole.
Dès l’enfance, il manifeste une curiosité insatiable pour tout ce qui touche aux mystères de la vie et de l’esprit.
Brillant élève, il entreprend des études de médecine à Paris et s’oriente vers des disciplines nouvelles, à la frontière du visible et de l’invisible :
- l’hypnose, art de la suggestion et de la conscience altérée ;
 - l’homéopathie, science douce du rééquilibre ;
 - la dosimétrie, qui mesure les effets des rayons X sur le corps humain ;
 - et l’électrothérapie, qui soigne les muscles par le courant électrique.
 
Mais au-delà du corps, c’est l’âme que le jeune Encausse veut comprendre.
Et c’est dans les arcanes de l’ésotérisme qu’il va chercher la clé.
L’apprenti des mystères
À la fin du XIXᵉ siècle, l’Europe bruisse d’une fièvre spirituelle.
La science triomphe, mais le mysticisme renaît, porté par ceux qui cherchent une passerelle entre la raison et l’infini.
Papus sera de ceux-là.
Très tôt, il s’initie à de nombreux ordres initiatiques et sociétés secrètes, fréquentant la fine fleur de l’occultisme européen :
- En 1887, il rejoint la Société Théosophique d’Helena Blavatsky, dont il admire l’ambition universaliste.
 - En 1888, il devient membre de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, fondé par Joseph Péladan et Stanislas de Guaita, deux figures flamboyantes du symbolisme français.
 - En 1892, il adhère à l’Église Gnostique de France de Jules Doinel, qui le consacre évêque sous le nom de Tau Vincent.
 - En 1901, il est reçu au sein de l’Ordre maçonnique du Rite swedenborgien, dont il deviendra Grand Maître.
 - Enfin, en 1908, il rejoint la Franc-maçonnerie égyptienne du rite de Memphis-Misraïm, héritière des mystères d’Hermès et de l’ésotérisme oriental.
 

Dans ces milieux fervents et souvent rivaux, Papus se distingue par son érudition et sa bienveillance.
Il n’est pas seulement initié : il devient un pont vivant entre les courants ésotériques d’Orient et d’Occident.
La rupture avec Blavatsky et la naissance du Martinisme
En 1889, il fonde un groupe de recherche ésotérique chargé d’organiser cours, conférences et études sur les traditions initiatiques occidentales.
Mais l’année suivante, il rompt avec la Société Théosophique.
Papus rejette l’orientation trop orientale et « tibétaine » que donne Blavatsky à son enseignement.
Il refuse aussi la hiérarchie spirituelle de la « Grande Fraternité Blanche », qu’il juge trop dogmatique.

De cette rupture naît une œuvre nouvelle.
En 1891, à vingt-six ans, il fonde l’Ordre Martiniste, qu’il co-crée avec Augustin Chaboseau.
Ce mouvement se réclame de Louis-Claude de Saint-Martin, le « philosophe inconnu », disciple de Martinez de Pasqually et héritier d’un courant judéo-chrétien mystique : l’Illuminisme.
Le Martinisme prône la réintégration de l’homme dans son état primordial, par la connaissance intérieure et la prière silencieuse.
Ses sujets d’étude vont de la Kabbale à la science des nombres, en passant par la symbolique des rêves et la contemplation mystique du Verbe.
En fondant cet ordre, Papus cherche à redonner à l’Occident son ésotérisme propre, enraciné dans la tradition chrétienne mais ouvert à l’universel.
L’Ordre Martiniste deviendra, au fil des décennies, l’un des piliers de la spiritualité initiatique moderne.

Voyage à la cour des Tsars
En 1901, Papus accompagne son ami et mentor, le thaumaturge Maître Philippe de Lyon, à la cour impériale de Russie.
Les deux hommes y sont reçus avec les honneurs dus aux prophètes.
Papus rencontre alors les cercles occultistes russes, échange avec les Martinistes de Saint-Pétersbourg, et s’entretient à plusieurs reprises avec le tsar Nicolas II et la tsarine Alexandra Feodorovna.
Il leur prédit la naissance d’un fils, héritier du trône — prophétie qui s’accomplira quelques mois plus tard avec la venue au monde du tsarévitch Alexis. Mais cette proximité avec la famille impériale attire la jalousie du mystérieux Raspoutine, qui voit en Papus un rival spirituel.

Selon plusieurs témoignages, ce dernier aurait manœuvré pour provoquer l’expulsion du médecin mystique et de Maître Philippe hors de Russie.
L’épisode marquera profondément Papus, qui ne retournera plus jamais à la cour des Romanov.
L’homme des mille ouvrages Papus est un auteur prolifique, infatigable.
En moins de trente ans, il signe plus de cent soixante ouvrages, traitant tour à tour d’occultisme, de Kabbale, de magnétisme, de Franc-maçonnerie, d’alchimie spirituelle, d’hypnose ou encore de Martinisme.
Son style clair, didactique et inspiré lui vaut le surnom de « Balzac de l’ésotérisme ».
Il cherche avant tout à rendre accessible la science sacrée, à la délivrer du secret et à la remettre au service de l’homme moderne.
Le centre d’un réseau invisible
Figure incontournable du Paris fin de siècle, Papus devient le cœur battant de l’occultisme européen.
Il fréquente et influence tous les grands initiés de son temps :
Péladan, Stanislas de Guaita, Victor-Émile Michelet, Jules Doinel, Villiers de l’Isle-Adam, Jules Bois, Joris-Karl Huysmans…

Tous voient en lui un érudit lumineux, parfois un rival, mais toujours un esprit d’une rare cohérence. Il s’oppose fermement à certains, notamment lors de l’affaire Boullan, scandale qui déchira les milieux occultistes à la fin du XIXᵉ siècle autour du prêtre hérétique Joseph-Antoine Boullan, excommunié pour pratiques magiques et messes inversées.
Papus y incarne la rigueur doctrinale contre les dérives du mysticisme noir.

La guerre et la mort du médecin des âmes
Quand éclate la Première Guerre mondiale, Papus n’hésite pas.
Médecin avant tout, il s’engage comme médecin-major sur le front de l’Est.
Il soigne les blessés dans des conditions effroyables, mêlant science et compassion.
Mais l’hiver 1914-1915 lui est fatal : affaibli par les épidémies et l’épuisement, il contracte une infection pulmonaire dont il ne se remettra jamais.Gérard Encausse s’éteint à Paris le 25 octobre 1916, à seulement cinquante et un ans.
Il repose aujourd’hui au cimetière du Père-Lachaise, parmi les poètes, les philosophes et les mystiques qu’il admirait.

Héritage d’un initié
Papus fut plus qu’un occultiste : il fut le passeur d’un monde à l’autre, un savant de la lumière intérieure.
Son œuvre, à la croisée de la science et du sacré, inspira des générations d’initiés, de mystiques et de chercheurs spirituels.
Dans le tumulte matérialiste de la fin du XIXᵉ siècle, il osa affirmer que la vérité ne se mesure pas seulement dans les laboratoires, mais aussi dans le silence de l’âme. Et lorsqu’on lit ses lignes, on perçoit encore, derrière le médecin et le mage, la voix d’un homme qui croyait que le mystère n’est pas ce qui cache la vérité — mais ce qui la révèle.